Cet article est paru dans le magazine Causette de janvier 2020. Il a par la suite été publié sur le blogue du Dr Kpote, Monsieur sexuel.
Forcément quand j’ai reçu l’invitation d’une médiathèque dans le Rhône pour une soirée d’échanges sur la sexualité et les ados, en pleine semaine de promo du Beaujolais Nouveau, j’ai présumé que ma petite virée au pays de Guignol aurait peut-être un goût de banane. D’ailleurs, j’ai eu une pensée pour cette scène de Sex Education où Eric se mue en prof de fellation pour donner un cours collectif aux filles du lycée en les invitant à sucer goulument ce fruit, le plus phallique du verger. J’ai évoqué cet épisode de la série auprès de parents d’ados en aparté : ce cours là, leur progéniture ne l’a pas fait sécher et il est bien plus intégré que celui sur les probabilités !
Le lendemain de cette soirée, qui s’est terminée sur des échanges de pratiques entre professionnel.le.s de la prévention, souvent isolé.e.s sur leur territoire respectif, il était prévu que j’anime une séance d’information en non mixité, avec les jeunes de l’Espace Jeunesse. Le rendez-vous était fixé dans un appartement municipal, parfaitement aménagé pour recevoir des groupes. Ponctuels, un animateur est arrivé avec huit garçons de 14 ans.
Installés autour d’une table ronde, on pouvait tous se regarder les yeux dans les yeux, sans tricher. L’éducateur et l’animateur sont restés en retrait pour libérer la parole tout en gardant un œil bienveillant sur le groupe. La présence d’adultes référents lors de mes animations est plus que souhaitable, surtout celles et ceux qui côtoient les jeunes toute l’année. Ce qui est échangé sur un sujet aussi intime que la sexualité réclame un temps d’assimilation, afin d’être repris par la suite et déconstruit. Faire émerger la parole juste pour « faire parler » des gamins qui n’ont rien demandé, ça ne m’intéresse pas. On ne va tout de même pas sortir la gégène et les injections de penthotal pour justifier nos actions auprès de l’ARS (Agence Régionale de Santé).
Pour être efficace, la prévention doit se faire sur la durée et se répéter à l’envie.
Comme souvent, le débat sur le consentement a été vif, les jeunes n’étant pas tous d’accord sur le niveau de pression acceptable pour obtenir l’accord de son ou sa partenaire. La science du forceur à faire céder l’autre n’étant pas exacte, chacun y est allé de sa capacité à jouer les commerciaux de l’égo, étalant ses techniques de vente du rapport sexuel, le pied dans la porte, à l’ancienne. Là où fût un temps on marivaudait, puis baratinait, aujourd’hui on fait plutôt le « charo ». Comme je les questionnais pour savoir s’il pouvait y avoir du plaisir sous la pression et le chantage, ils n’étaient plus aussi certains de leur fait. Mais que connaissaient-ils réellement du plaisir féminin hors pénétration ?
Visiblement, ils butaient un peu sur l’anatomie, confondant vagin et vulve.
J’ai alors extrait de mon sac une vulve moulée dans du silicone avec un clitoris escamotable, gland et bulbes vestibulaires compris. La bande a hurlé comme un seul homme, aussi excitée qu’une tribune d’ultras au coup de sifflet final de la coupe du monde de 2018. Intelligemment, l’éduc a laissé faire, parce qu’on savait tous qu’il fallait en passer par là. Ils ont voulu la palper et avaient bien du mal à comprendre comment était fichu le clitoris, visible grâce à la transparence du silicone. La vulve est passée de mains en mains et tous ont branlé les lèvres, jaugeant au passage leurs connaissances en la matière. C’était la première fois où, en petit comité, je testais l’outil en le faisant circuler. Les gestes étaient gauches, un peu brutaux mais cet acte cathartique a eu le mérite de les calmer.
Comme ils se demandaient comment j’avais obtenu cet obscur objet du désir, je leur ai expliqué qu’une association de prévention canadienne, SEX-ED +, me l’avait gracieusement envoyé.
Biberonnés au porno sur Brazzers, la nouvelle plateforme en vogue qui squatte les sites de streaming, ils doutaient de la forme des lèvres de ma vulve en silicone, loin des stéréotypes filmés. Je leur ai assuré que le moulage avait été fait sur une vraie vulve. – Quoi la meuf vous envoie un moule de sa teucha ? Et votre femme n’a rien dit ?! Celui qui avait décrété que j’étais donc hétéro et marié, s’est mis à renifler le moule à la recherche d’un reste de fragrance de cyprine, provoquant l’hilarité de ses potes. Forcément, il a aussi fait semblant de lécher, tout en y fourrant son nez. Il y avait un petit côté bulldog anglais dans sa façon de cunnilinguer qui ne faisait pas vraiment rêver. Comme il se plaignait que « ça ne sentait pas la chatte », j’ai embrayé sur les odeurs corporelles et l’hygiène personnelle. Excitantes ou incommodantes, les odeurs jouent un rôle essentiel dans la relation à l’autre.
Malheureusement, dans notre société très aseptisée, on tend à les masquer tout en codifiant le corps et la beauté. L’un d’eux m’a donné l’exemple des poils qu’il convenait de raser. En deux heures, les jeunes avaient tout donné et comme les odeurs ne les faisaient pas trop kiffer, je les ai invité à partager ce qu’ils avaient envie de retenir de cette séance.
À ma grande surprise, ils n’ont pas évoqué la vulve siliconée mais le consentement. Même le plus charo d’entre eux, forçant jusqu’à sa posture, a tenu à rajouter qu’on ne devrait pas obtenir une relation en insistant.
Cette belle conclusion m’a redonné la banane, quelque peu entachée, quand je les ai vu, dehors, questionné par une voiture de police qui devait les trouver trop excités, préservatifs à la main. J’ai salué le travail de l’équipe éducative qui avait réussi à motiver huit jeunes à venir échanger autour d’une table plutôt que de taper un foot. Le geek qui me maintient que c’est l’IA qui va sauver l’humanité, je lui glisse une peau de banane sous le pied.
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