Un texte d’ Anouk Lebel, images de Martin Thibeault pour Radio Canada
Alors que Québec soutient que l’éducation sexuelle reviendra dans les écoles dès la rentrée scolaire, le clitoris n’est toujours pas au programme du ministère de l’Éducation. Des organismes tentent toutefois de rendre justice à cet organe qui est souvent ignoré ou mal représenté dans les manuels scolaires.
L’objet de silicone développé par Magaly Pirotte tranche avec l’idée que plusieurs se font du clitoris. L’outil en forme de Y inversé est pourtant ce qui se rapproche le plus de la forme réelle de cet organe, explique-t-elle. Cet organe peut mesurer plus de 10 centimètres de long, mais est souvent représenté comme un haricot de quelques millimètres dans les manuels scolaires. Son gland, la seule partie visible, se prolonge à l’intérieur de la vulve, de part et d’autre de l’entrée du vagin.
Magaly Pirotte a conçu son clitoris de silicone à partir d’un modèle imprimable en 3D développé par la chercheuse indépendante française Odile Fillod. Cette dernière s’est appuyée sur la littérature scientifique disponible, qui comprend notamment des représentations faites dans les années 2000 à partir de dissections et d’imageries par résonnance magnétique.
Mme Pirotte a travaillé pendant une dizaine d’années dans le milieu communautaire avant de démarrer le projet SEX-ED +, qui vise à pallier le manque d’outils éducatifs pour représenter les organes génitaux, dont le clitoris, encore réduit à son gland dans la plupart des manuels scolaires approuvés par le ministère de l’Éducation.
C’est comme si on avait une excision collective, mais pas physique; on n’en parle pas, on ne sait pas que ça existe.
Magaly Pirotte, SEX-ED+
Au Québec, le système reproducteur est abordé au 1er et au 2e cycle du secondaire, en science et technologie. Or, trois des huit manuels approuvés par le ministère de l’Éducation pour cette matière ne font pas mention du clitoris. C’est que cet organe, destiné au plaisir, n’a pas de fonction reproductrice à proprement dit, contrairement au pénis, à l’utérus, aux ovaires et aux trompes de Fallope, dûment représentés sur les schémas.
Pourtant, le clitoris fonctionne en fait de la même manière qu’un pénis, explique Mme Pirotte. Il est composé des mêmes corps caverneux (piliers) et spongieux (bulbes), qui se gorgent de sang pendant l’excitation sexuelle, ce qui permet de mener à l’orgasme.
« Étant donné que [le clitoris] n’est pas dans tous les manuels, ce n’est pas quelque chose qu’il est obligatoire de mentionner », indique le porte-parole du ministère de l’Éducation, Bryan Saint-Louis. Les enseignants pourront le faire s’ils le souhaitent lors des apprentissages prévus en éducation à la sexualité, souligne-t-il. Ces apprentissages ne prendront pas la forme d’un cours, mais se feront de manière transversale.
« Les ados et les jeunes adultes, quand on leur présente le clitoris, généralement, ils ne savent pas ce que c’est », remarque Léna Gauthier-Paquette, chargée de projet en sexologie à L’Anonyme. Cet organisme établi dans Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal, offre des ateliers d’éducation sexuelle en milieu scolaire, institutionnel et communautaire depuis une douzaine d’années.
Mme Gauthier-Paquette a commencé à montrer le clitoris de silicone lors d’ateliers en milieu scolaire en mai 2017, alors que le projet de Mme Pirotte était encore en démarrage. Depuis, L’Anonyme a aussi conçu ses propres planches anatomiques, avec l’aide d’un illustrateur. Celles fournies il y a quelques années sur le site Internet masexualite.ca, qui est géré par la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, ne rendaient pas justice à la structure complète de l’organe.
« Le clitoris est seulement représenté par son gland. Il a un peu l’air d’un haricot devant l’os du pubis », explique Mme Gauthier-Paquette. La vue de côté a depuis été retirée du site Internet masexualite.ca, qui ne montre que la vue de face du système reproducteur, où le clitoris n’est pas représenté.
Un organe connu depuis le XVIe siècle
Des anatomistes italiens ont pourtant revendiqué la découverte de la partie cachée du clitoris dès le milieu du XVIe siècle. Le médecin Realdo Colombo en a pris le crédit en 1559, tandis que Gabriele Falloppio l’a décrite en 1561, en même temps que les trompes de Fallope.
L’anatomiste allemand Georg Ludwig Kobelt a par la suite réalisé des dessins plus détaillés des racines du clitoris, en 1844, lui-aussi à partir de dissections humaines.
La découverte du processus de fécondation, en 1875, marque le début de l’obscurantisme clitoridien, notent Alexandra Hubin et Caroline Michel dans Le clitoris , paru chez Gallimard en 2018. « Un ovule, un spermatozoïde et le tour est joué. Le clitoris n’est donc d’aucune utilité, si bien qu’il est rapidement discrédité. »
Le psychanalyste Sigmeud Freud a par la suite introduit l’opposition entre orgasme vaginal et clitoridien, qui persistait toujours il y a quelques années dans les magazines féminins, poursuivent-elles.
Magaly Pirotte espère que son outil pédagogique viendra détruire ce mythe de l’orgasme vaginal qui se perpétue.
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