Lettre d’opinion sur le nouveau programme d’éduc-sex – Le Devoir
En tant que chercheurs en éducation à la sexualité, nous nous questionnons sur l’implantation imminente du nouveau programme d’éducation à la sexualité pour les élèves du primaire et du secondaire. Faisant suite au curriculum de 2018, l’ébauche du programme est intégrée au cours Culture et citoyenneté québécoise (CCQ).
De prime abord, le programme est en continuité avec la démarche québécoise et les lignes directrices internationales : la sexualité y est abordée dans une perspective globale et positive. Les sujets sont variés et permettent d’éveiller les jeunes à des problématiques sociales (par exemple agressions et violence), de les faire réfléchir (vie amoureuse, identité, image de soi) et de les accompagner dans leur développement de façon critique (puberté, agir sexuel, pression sociale). Nous saluons également l’intégration d’une réflexion critique sur le numérique, grande absente du précédent curriculum.
Nous restons néanmoins sur notre faim, ou sur nos gardes, par rapport à certains aspects ; notamment en ce qui touche à l’implantation, à la présence (ou à l’absence) de certains contenus et à la formation et au soutien qui vont être offerts (ou pas) au personnel enseignant.
Une implantation trop rapide
Comme cela a été le cas pour le curriculum de 2018, ce programme a été créé avec peu de collaboration des milieux de pratique. Pourtant, depuis la suppression du cours de Formation personnelle et sociale au début des années 2000, les contenus d’éducation à la sexualité sont dispensés par une multitude d’acteurs et d’actrices (communautaires, infirmières, sexologues, enseignants, etc.). Ces personnes ont développé une expertise dont on ne peut se priver en matière de contenus et de thématiques.
Ce nouveau programme arrive seulement quelques années après la mise sur pied du curriculum de 2018, lancé en 2015 dans sa version pilote. Entre les errements des premiers temps et la pandémie, celui-ci n’a pas vraiment eu le temps de faire ses preuves. Beaucoup d’énergie a pourtant été investie pour l’implanter : nombre d’intervenants ont développé des activités pédagogiques autour des contenus qui devaient être abordés. Sans évaluation et sans recul, est-il pertinent de repartir à zéro ? Il y aurait certainement des enseignements à tirer de l’expérience des dernières années, avant de les balayer sous le tapis pour des raisons politiques.
Il y a aussi une différence de taille entre le curriculum de 2018 et le nouveau programme : le premier misait sur les enseignants volontaires, qui se sentaient outillés et à l’aise avec la matière à transmettre. Le second intègre quant à lui les contenus d’éducation à la sexualité dans une matière. Cela signifie que les enseignants qui en auront la charge seront obligés d’aborder ces contenus. Il existe donc un risque de se retrouver avec des professionnels qui n’ont pas la formation, l’aisance ou la volonté d’aborder ces thèmes avec la sensibilité requise.
Des contenus encore manquants ou mal intégrés
Comme c’était le cas dans le curriculum de 2018, les réalités des personnes trans et intersexes ne se retrouvent pas dans le programme du secondaire, alors que la puberté est un moment charnière de questionnements autour du genre et de l’apparition de plusieurs caractéristiques sexuelles, dont certaines variations intersexes.
Le thème de la pornographie est aussi absent, alors que l’âge moyen d’exposition à des contenus pornographiques est de 12,2 ans, et qu’un tiers des jeunes en ont consulté avant l’âge de 10 ans. Il semble donc important de leur fournir un espace encadré et sécuritaire pour aborder le sujet et leur donner l’occasion de réfléchir et de prendre de la distance avec ces représentations de la sexualité. Même s’il s’agit de thèmes difficiles à aborder, il est plus que temps qu’ils soient intégrés au programme.
Quant à l’intégration des contenus d’éducation à la sexualité dans le programme de CCQ, la tâche semble pour l’instant avoir été faite superficiellement. Au primaire, par exemple, la prévention des agressions sexuelles est abordée selon la thématique « désirs et limites personnelles ». Il y a ici un inquiétant glissement conceptuel qui risque d’alimenter une rhétorique blâmant la victime. Bien que nous appréciions dans cette rubrique l’importance mise sur l’affirmation de soi chez les enfants, la gestion de leurs désirs et de leurs limites personnelles n’a rien à voir avec les agressions.
Une caractéristique fondamentale du programme de CCQ est qu’il est ancré dans la réflexion, le dialogue et la création d’une culture commune. C’est un programme où l’on aborde des questions délicates et controversées et où les élèves sont invités à construire leur propre opinion et à en débattre avec leurs camarades. Si certains contenus d’éducation à la sexualité doivent bénéficier d’un tel traitement pédagogique, d’autres cependant ne s’y prêtent pas du tout.
Demander à des jeunes de définir la violence sexuelle selon leur perception (plutôt que selon la loi), ou à des élèves de « trouver » des arguments homophobes et transphobes pour débattre du mariage gai sont des exercices pédagogiques à éviter. Il y a des contenus à apprendre, et d’autres dont il faut débattre !
Le personnel enseignant est-il équipé pour encadrer cette discussion et donner des informations légales et médicales justes, tout en respectant les diverses sensibilités des jeunes, et les expériences qu’ils et elles ont pu avoir ? Une réflexion s’impose pour bien intégrer les contenus d’éducation à la sexualité dans un cours axé sur des réflexions sociologiques et éthiques.
Un personnel enseignant bien préparé
Avoir une expérience de la sexualité ne fait pas de soi un expert. Et les bonnes intentions et des connaissances générales ne suffisent pas pour transmettre des contenus d’éducation à la sexualité de qualité. Une formation est nécessaire afin de développer une expertise, avoir une attitude adéquate et sortir de ses biais personnels, en plus de fournir une foule de connaissances approfondies sur des sujets clés tels que la prévention des violences à caractère sexuel ou la puberté.
Un contenu éducatif aussi important ne devrait pas se moduler au gré des vagues politiques. Il faut nous donner les moyens, comme société, de former et d’accompagner convenablement les milieux, les personnes impliquées, les élèves et leurs familles, ainsi que d’évaluer les programmes et leur implantation. Il est également essentiel de collaborer étroitement avec celles et ceux qui pratiquent sur le terrain, afin d’être en mesure d’adapter et de mettre à jour les contenus.
De cette manière, nous serons vraiment en mesure d’outiller les jeunes et de leur donner les connaissances nécessaires pour traverser le passage vers l’âge adulte, dans le respect de soi et des autres. Il en va du respect de leur droit à une éducation complète et adaptée.
Avoir un programme d’éducation à la sexualité est un bon pas dans cette direction si on se donne les moyens de l’implanter en respectant les expertises des milieux de pratique et de former adéquatement le personnel enseignant. Sans cela, on ne fait que gaspiller des ressources déjà développées, et ce sont les jeunes qui en pâtissent.
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